Sciences

Pour le meilleur et pour le pire, nous économisons nos ressources cérébrales

“If you want people to do something, make it easy.” R. Thaler

Au niveau cérébral, l'Homme a évolué avec la nécessite d'agir vite pour rester en vie dans un environnement qui lui était hostile. Ainsi, au fil du temps, le fonctionnement cognitif s'est donc développé en privilégiant un système de décision pour l’action très rapide.  

Aujourd’hui encore, nous avons systématiquement tendance à économiser nos ressources cérébrales, mais ce mode économe est parfois devenu paradoxalement un frein au comportement. Dans ce cas, des « coups de pouces » (nudges) peuvent être utilisés pour inciter le passage à l’action, que ce soit pour réduire le coût associé à la réflexion ou pour faciliter une focalisation attentionnelle pertinente -au bon moment.  

Le cout de la réflexion

Un collectif de chercheurs canadiens a mené une récente étude pour mettre en évidence le fait que nous sommes prêts à beaucoup de choses pour éviter de réfléchir... même à souffrir physiquement ! Todd Vogel et ses collaborateurs (2020) ont demandé aux participants de son expérimentation de choisir entre deux options : une tâche qui demande un certain effort cognitif (il s’agit d’une tâche dite N-back pour les connaisseurs*) et une expérience de douleur physique (plus précisément une sensation de brûlure sur le poignet). À noter qu’il s’agissait d’un choix forcé, c’est-à-dire que les participants étaient obligés de sélectionner une des deux options présentées. Et l’intensité de la demande cognitive comme celle de la douleur physique variaient au cours de l’expérience. L’idée était d’opposer deux comportements dits aversifs, afin de voir lequel prendrait le pas sur l’autre. Les résultats montrent que globalement, les participants préfèrent accepter l’expérience de douleur physique lorsque la tâche cognitive demande un effort trop important.  

Ce qu’il faut retenir de cette expérience, c’est simplement que notre fonctionnement cérébral a systématiquement tendance à éviter de réfléchir (lorsque cela est possible). Et c’est normal. En d’autres termes, dans nos décisions d’agir également, nous choisissons -le plus souvent sans nous en rendre compte- l’option la plus simple… Ainsi, lorsque nous choisissons une action à réaliser, l’écart entre nos intentions et nos comportements semble s’expliquer par cette volonté d’économiser nos ressources.

Pour bien comprendre, prenons un exemple d’inertie comportementale, issu du contexte professionnel. Nous avons tous l’intention d’augmenter la fréquence des feedbacks adressés à notre manager. Mais ce n’est pas si simple -au sens propre. Bien que la culture de l’entreprise favorise ce genre de pratique, cet exercice est difficile et demande un certain effort cognitif -indépendamment du courage qui vous est aussi nécessaire. Résultat : vous préférez ne rien faire et vous reculez, plutôt que de vous aventurer dans les eaux troubles du feedback…

La nécessité de focaliser son attention -au bon moment  

Une autre limite fondamentale de notre fonctionnement cognitif en cause pour expliquer l’intention-action gap évoqué plus haut est notre attention...sélective. Nous avons la capacité de sélectionner un stimulus parmi d’autres dans l’environnement pour y focaliser notre attention ; cette focalisation implique une orientation de l’attention vers le stimulus d’intérêt et donc une inhibition des autres stimuli présents.

Vous connaissez peut-être l’expérience dite du gorille invisible qui étudie ce phénomène, menée il y a une vingtaine d’années (Simon & Chabris, 1999). Dans cette étude, les participants devaient regarder une vidéo dans laquelle deux équipes de jeunes (l’une avec T-shirts blancs, l’autre avec T-shirt noirs) se faisaient des passes avec un ballon. À noter qu’au beau milieu de la vidéo (et des passes entre joueurs), un individu déguisé en gorille noir traversait la scène. En s’appuyant sur l’hypothèse de l’attention sélective, les auteurs ont demandé aux participants de compter le nombre de passes de l’équipe habillée en blanc puis leur ont demandé s’ils avaient vu un évènement inattendu -le gorille. Résultat :sSeulement 42% des participants ont répondu par l’affirmative.

Cette expérience souligne l’idée que certains éléments échappent à notre attention car celle-ci est focalisée sur d’autres choses. Le caractère sélectif de l’attention peut également apparaitre comme un frein au passage à l’action : il nous arrive de ne pas penser à faire un certain comportement, simplement parce que nous n’avons pas prêté attention au déclencheur de l’action.

Si l’on reprend notre exemple, que celui qui n’a jamais oublié de faire un Feedback à chaud après une réunion -indépendamment de la difficulté de l’exercice- jette la première pierre…

Tout ce dont notre attention/cerveau a besoin... est un petit coup de pouce !

Richard Thaler, prix Nobel d’économie en 2017 grâce à la théorie du Nudge, nous explique qu’il est possible d’inciter les individus à agir dans le sens de leurs intentions. Comment ? En les encourageant à choisir une certaine action (i.e. la meilleure option).  

Pour être choisie, nous avons noté tout d’abord que l’option doit être peu coûteuse en ressources cognitives, donc demander peu d’effort. Ensuite, il est primordial qu’un déclencheur de l’option fasse l’objet d’une focalisation attentionnelle -au bon moment. Dans notre cas, comment inciter les collaborateurs à donner davantage de Feedbacks à leur manager suite à une réunion ?  

  • Premièrement, en utilisant un Nudge de simplification du comportement. Typiquement, en sélectionnant la méthode de feedback OSCAR (Outcome, Situation, Choice, Action, Review) qui permet de réduire l’effort mental associé à l’action.

C’est également ce que BJ Fogg, chercheur en sciences comportementales à l’Université de Stanford et concepteur du Framework B=MAP, appelle un nudge de type Facilitator : littéralement un coup de pouce qui facilite le passage à l’action en augmentant le sentiment de capacité des individus.

  • Deuxièmement, en ajoutant un Nudge de rappel du comportement pour attirer notre regard et entraîner une focalisation attentionnelle -au bon moment. Et pour augmenter davantage la probabilité du passage à l’action, le mieux est d’associer à ce rappel le Facilitator décrit plus haut ! Par exemple, en paramétrant un rappel agenda suite à la réunion avec le manager de type “Faire un feedback à Jeanne suite à notre réunion en utilisant la méthode OSCAR”  

Attention : il ne faut pas penser que plus on accumule les nudges pour encourager un comportement donné, plus cela augmente les chances de passer à l’action. L’efficacité d’un nudge est dépendante de son contexte et certaines interactions entre mécanismes incitatifs ne seraient pas recommandées. La littérature scientifique n’est pas unanime sur ces questions, et les chercheurs en sciences comportementales continuent leurs recherches expérimentales sur le sujet…

Take home message

Les « nudges » (coups de pouces) sont particulièrement efficaces pour encourager le passage à l’action, à condition que les individus aient l’intention d’agir ainsi. En effet, ils s’appuient sur notre fonctionnement cognitif réel, qui a notamment tendance à éviter de s’engager dans un comportement nécessitant un effort cognitif important -quoi qu’il en coûte. Certains dispositifs sont spécialisés dans ce types de mécanismes incitatifs, incitant les individus à réaliser leurs ambitions (i.e. au sens comportemental du terme) dans le domaine de la formation professionnelle par exemple.

Fifty, leader du eDoing, permet de réduire cet intention-action gap dans des contextes de formation ou de transformation en entreprise. Grâce à différents types de nudges associés à des micro-actions personnalisées et son algorithme apprenant, Fifty aide les collaborateurs à agir réellement en situation de travail.

Références

Fogg, B. J. (2019). Tiny habits: The small changes that change everything. Eamon Dolan Books.  

Simons, D. J., & Chabris, C. F. (1999). Gorillas in our midst: Sustained inattentional blindness for dynamic events. Perception, 28(9), 1059-1074.

Thaler, R. H., & Sunstein, C. R. Nudge: Improving decisions about health, wealth, and happiness

Vogel, T. A., Savelson, Z. M., Otto, A. R., & Roy, M. (2020). Forced choices reveal a trade-off between cognitive effort and physical pain. Elife, 9, e59410.

-----

*La tâche n-back est une tâche de reconnaissance où les participants indiquent si un élément présenté dans un liste a liste est similaire à un élément présenté n position avant. En fonction de l’ampleur du N, l’exercice est plus ou moins difficile. Dans l’étude présentée, la difficulté de la tâche varie entre N=0 et N=4.