Notre cerveau se prépare constamment à l'action
Je vous ai déjà présenté le modèle comportemental de BJ Fogg de l'université de Stanford, qui explique les déterminants du passage à l'action. Selon lui, pour agir, il faut que trois ingrédients soient réunis en même temps : motivation, sentiment de capacité et déclencheur. Dans cet article, je vous propose de revenir sur la notion de déclencheur.
Le déclencheur peut être interne (par exemple : une pensée, une sensation physique) ou externe (une note aperçue, un nom entendu ou encore une situation rencontrée). Dans tous les cas, pour être efficace (i.e. traité par notre système cognitif) il nécessite d'être le centre de notre attention pendant quelques instants. C'est la première condition pour déclencher un mouvement volontaire.
Au niveau cérébral, qu'est ce qui nous amène à effectuer une action ? Quel est le rôle du déclencheur ? Comment sa perception produit-elle l'activation du cortex moteur jusqu'à provoquer un réel passage à l'action ?
Je vous propose de répondre à ces questions grâce aux travaux de Paul Cisek, chercheur à l'université de Montréal et expert des mécanismes cérébraux impliqués dans la prise de décision et de la planification des mouvements volontaires.
Etape 1 : le focus attentionnel
Nous devons focaliser notre attention pour percevoir le déclencheur.
Notre cerveau n'est pas capable de traiter l'ensemble d'une scène instantanément. En fait, pour comprendre notre environnement, nous devons continuellement faire des "focus attentionnels" sur les différents éléments qui constitue la scène. Cela se fait grâce à l'attention. La principale fonction de l'attention est de faire le tri dans la multitude d'informations que nous percevons (Léger, 2016) : l'attention, comme processus cognitif, permet de sélectionner une partie de ce champ qui sera alors traitée par le cerveau, tout en inhibant les informations non pertinentes.
Pour bien comprendre, je vous propose un exemple. Au travail, lorsque vous vous concentrez sur une tâche, vous ne traitez cognitivement que des éléments en rapport avec cette tâche. Vous faites donc un focus attentionnel. Admettons que dans l'avancée de cette tâche, vous percevez un point bloquant qui nécessite de poser une question à un.e collègue. Ceci est un déclencheur, capable d'initier le déroulement de l'action.
Etape 2 : la préparation des actions
Notre cortex identifie et prépare un ensemble des comportements possibles.
C'est seulement en fonction de ce que nous percevons de l'environnement (i.e. des opportunités d'agir qu'il présente) que notre cerveau va préparer l'action. Cette étape de préparation de l'action est essentielle puisqu'elle va permettre au cerveau de spécifier toutes les actions possibles suite à la perception du déclencheur. Ainsi, en réalité, le cerveau prépare plusieurs actions possibles.
En d'autres termes, suite à la perception d'un objet ou d'une situation (c'est à dire du déclencheur), on prépare en même temps tous les comportements qu'on pourrait adopter en réponse à ce contexte : les (représentation des) différentes actions possibles se matérialisent dans notre cerveau par l'activation simultanée de différentes populations de neurones. Attention : tout cela se passe très rapidement, sans que nous en ayons conscience. C'est ce que Paul Cisek observe par imagerie cérébrale. Il conclut qu'une compétition par inhibition réciproque entre les différentes actions (i.e. les différentes populations de neurones) a systématiquement lieu dans notre cerveau avant l'action.
Revenons sur notre exemple : la rencontre d'un point bloquant (associée à une motivation suffisante et un sentiment de capacité convenable) vous pousse à réellement demander de l'aide à un.e collaborateur.trice (i.e., l'action cible). Cependant, plusieurs options s'offrent à vous :
- vous pouvez aller jusqu'à son bureau et l'interpeler en vrai,
- vous pouvez lui écrire un mail en décrivant votre problème puis en demandant clairement les informations qu'il vous manque,
- ou encore, vous pouvez lui téléphoner et expliquer les choses de vive voie.
Selon Paul Cisek, ces trois options comportementales seraient envisagées exactement en même temps dans le cerveau, provoquant l'activation des différentes populations de neurones. Et pour qu'une action soit menée pour de vrai, une des populations de neurones doit être gagnante gagnante, au sens où son activation perdure jusqu'à ce que la commande motrice soit envoyée (alors que l'activité des autres s'arrête brutalement).
Etape 3 : la victoire d'une action
Notre cortex choisit une action qui sera réellement menée.
Cet arbitrage est synonyme de sélection, puisqu'il nécessite de décider. Et cette décision s'appuie sur certains éléments, de manière plus ou moins consciente.
D'après Paul Cisek, la sélection de l'action gagnante se fait par l'intervention de différents processus cognitifs. En fonction de nos comportements passés, donc de notre expérience, de la pertinence de l'action, de la probabilité de réussir, ou encore de nos émotions, nous serons susceptibles d'adapter nos considérations, donc l'arbitrage final.
Dans notre situation, même si vous n'avez pas l'habitude d'appeler nos collaborateurs, vous savez qu'une conversation de vive voix vous permettra d'avoir une réponse plus rapide voire immédiate (pertinence de l'action +). Et puis, de nature timide, il vous est beaucoup plus facile de téléphoner que d'aller voir votre collègue en face-à-face (probabilité de réussir +). Vous choisirez donc la troisième option qui entrainera l'abandon des deux autres options au niveau neuronal.
Je précise que ce type de réflexion n'est pas forcément consciente et plus ou moins rapide, en fonction du temps disponible. Et il faut garder à l'esprit que tout se passe en temps réel donc nous devons réévaluer notre action, ou la corriger. Ainsi, ce processus en 3 étapes est continuellement à l'oeuvre (à nouveau nous focalisons notre attention, puis les actions potentielles s'activent et entrent en compétition, ce qui nous amène à faire une sélection...)
Take home message
Il faut retenir que le cerveau se prépare continuellement à agir, et ce en fonction de ce qu'il perçoit de l'environnement (et des situations). Par exemple, le simple fait de regarder un stylo va mettre notre cortex moteur en activité pour préparer l'action (le mouvement de notre main) en activant différentes populations de neurones capables de provoquer différentes saisies.
Une seule action sera finalement exécutée. Il est possible d'orienter l'arbitrage final du cortex en modifiant l'architecture de choix : c'est ce que font les nudges, des incitations subtiles qui permettent d'orienter l'individu dans son choix d'action, en l'encourageant à prendre la meilleure décision.
---
Fifty, leader du e-doing, aide les collaborateurs à agir dans des contextes de formation ou de transformation en entreprise. Avec un outil qui combine sciences comportementales et algorithme apprenant, Fifty accompagne les collaborateurs en situation de travail pour sélectionner la meilleure action.